François
Dart ![]() |
Dr
Dumolard et Pr Juvin
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Dr
Boisset ![]() |
Dr
Heili ![]() Pr
Lévy (Fragmentation du sommeil)
Pr Bonaz (Troubles
digestifs et fibromyalgie)
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La
fibromyalgie
1. Introduction
2. Définition
3. Problèmes somatiques associés
Généralement, le patient atteint de fibromyalgie développe ces symptômes graduellement, c'est-à-dire qu'à chacune des visites, de nouveaux symptômes viennent souvent se greffer au tableau clinique présenté antérieurement. 4. Problèmes psychologiques associés
Extrait des pages:
Index général Analyses médicales et biologiques, février 2001. Adresse internet: http://perso.wanadoo.fr/francois.dart
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La
fibromyalgie
A.Dumolard; R. Juvin.
Avec des critères diagnostiques peu spécifiques, l'absence de signes objectifs cliniques ou para cliniques et une physiopathologie qui reste obscure en dépit de pistes très intéressantes, la réalité même de la fibromyalgie (FM) reste controversée. Il s'agit d'un syndrome très fréquent mais encore mal
connu par la communauté médicale et scientifique, et plus
particulièrement en France, avec absence d'enseignement spécifique
jusqu'à une époque récente.
Nous faisons le point clinique, physiopathologique et thérapeutique sur cette maladie chronique et bénigne mais qui peut devenir invalidante. HISTORIQUE La FM est reconnue par l'Organisation Mondiale de la Santé depuis 1992
et possède ses associations de malades en France depuis 1995, et une
fédération Nationale depuis 1998.
DEFINITION La FM est un syndrome caractérisé par:
EPIDEMIOLOGIE Il s'agit d'une affection fréquente, avec une prévalence
de 2% dans la population générale, 3,4% chez les femmes,
0,5% chez les hommes (3). Il s'agit de femmes dans 70 à 90% des
cas.
CRITERES DE L'AMERICAN COLLEGE OF RHUMATOLOGY (ACR) DE 1990 Les critères ACR (Tableau I) permettent de porter un diagnostic
de FM avec une spécifité de 88% et une sensibilité
de 81%.
CARACTERISTIQUES DE LA DOULEUR Le patient la perçoit comme musculaire, tendineuse ou articulaire.
Il peut s'agir de contractures, de tensions musculaires, de brûlures,
de paresthésies.
SIGNES ASSOCIES QUASI CONSTANTS Quatre symptômes sont fréquemment associés au syndrome
douloureux (Tableau II).
AUTRES SIGNES ASSOCIES La FM peut s'accompagner d'un cortège de signes fonctionnels
(Tableau III), variables d'un patient à l'autre, qui peuvent amener
le patient à consulter des praticiens dans plusieurs disciplines:
gastro-entérologie, neurologie, gynécologie, ORL, cardiologie,
etc.
EXAMEN CLINIQUE L'examen clinique est normal en dehors des points douloureux précédemment
décrits. Ces points doivent être douloureux, et non pas simplement
sensibles, entraînant une grimace ou un mouvement de retrait de la
part du patient. Il faut tester les points normalement indolores à
la pression: milieu du front, face postérieure de l'avant-bras,
à la jonction tiers moyen-tiers inférieur.
Au total, la FM est un syndrome qui associe:
INVALIDITE Plusieurs études ont montré que les patients ressentent
la FM comme une affection plus sévère que d'autres maladies
chroniques. Le retentissement émotionnel et psychologique est également
plus marqué. Si l'on compare en particulier avec la polyarthrite
rhumatoïde, le niveau de douleur est égal (6,7) mais la qualité
de vie est jugée moins bonne dans la population des fibromyalgiques
par rapport aux polyarthrites rhumatoïdes (8).
FORME CLINIQUES FM concomitantes La FM peut coexister avec des maladies de système, essentiellement la polyarthrite rhumatoïde, le lupus et le syndrome de Gougerot. Des auteurs ont trouvé 16,7% de FM dans une population de 60 lupus (11), 9,2% de FM dans une population de 108 Behcet (12). la FM est associée dans 30% des cas aux maladies inflammatoires digestives (13), particulièrement à la maladie de Crohn (49% de FM associée). La FM évolue indépendamment de ces affections et il peut persister des douleurs liées à une FM dans une polyarthrite rhumatoïde par ailleurs en rémission. Il faut donc parfois être vigilant avant de conclure à l'inefficacité d'un traitement de fond. FM probables Plusieurs auteurs considèrent comme probable le diagnostic de FM dès la présence de six points douloureux à l'examen, dès lors que la symptomatologie fonctionnelle associée est évocatrice. FM régionale Des auteurs ont étudié l'évolution à six ans de syndromes douloureux régionaux du bras, qui constituent une part importante des consultations de rhumatologie. Dans 44% des cas, les patients satisfont à six ans les critères ACR de la FM (14, 15). FM chez l'homme Nous avons vu qu'elle est beaucoup moins fréquente, elle est aussi moins symptomatique avec en particulier des douleurs plus modérées et moins de points douloureux à l'examen (16). Les troubles psychologiques sont par contre plus fréquents. FM chez l'enfant La prévalence de la FM chez l'enfant est estimée entre 1,2 et 6,2% (17). 28% des patients ont vu leur FM débuter dans l'enfance ou l'adolescence. Contrairement aux adultes, où nous le verrons la chronicité est de règle, l'évolution chez l'enfant est le plus souvent favorable, avec 73% de rémission à 30 mois (18). Certains auteurs ont décrit une association avec le syndrome d'hyperlaxité articulaire (19). DIAGNOSTIC DIFFERENTIEL certaines pathologies peuvent donner des tableaux cliniques proches
de la FM, voire être associées à une FM (Tableau IV).
SYNDROMES VOISINS Syndrome de fatigue chronique (SFC) Il débute le plus souvent brutalement après un tableau pseudo-grippal, laissant une asthénie profonde. Le diagnostic est clinique (Tableau V). Le SFC présente de nombreuses similitudes avec la FM au point qu'il pourrait s'agir de deux formes de la même maladie. Un grand nombre de SFC évoluent vers une FM.
Syndrome douloureux myofascial Il s'agit d'une affection douloureuse loci-régionale chronique affectant un ou plusieurs groupes musculaires. Il est caractérisé par la mise en évidence de cordons indurés musculaires et de douleurs déclenchées à la palpation de points gâchettes. Là encore, ce syndrome est susceptible d'évoluer vers une authentique FM. BILAN COMPLEMENTAIRE Il repose sur la biologie qui doit rechercher une pathologie associée
et éliminer d'autres étiologies de syndrome polyalgique.
PHYSIOPATHOLOGIE Une affection multifactorielle Facteurs génétiques Plusieurs arguments vont dans le sens d'un facteur génétique.
Ainsi, la prévalence familiale est d 26% (20), alors qu'elle est
de 2% dans la population générale. On trouve 28% de FM chez
les enfants de mère fibromyalgique (21) et 70% de FM chez les mères
d'enfants fibromyalgiques (22).
Facteurs déclenchants On trouve souvent un événement qui précède
la survenue des symptômes:
Facteurs d'entretien Ils sont importants dans la pérennisation du syndrome, qu'ils soient psychologiques, comportementaux ou socioprofessionnels, et devront être pris en compte dans la prise en charge thérapeutique. Théorie périphérique La FM n'est pas un syndrome primitivement musculaire (26). des auteurs (27) ont trouvé des perturbations de la glycolyse (augmentation de la pyruvicémie, diminution de la production de lactates), mais les différentes études histologiques, biochimiques ou spectroscopiques n'ont pas mis en évidence d'anomalies spécifiques. Il existe des modifications non spécifiques liées au désentraînement sur des muscles dits "déconditionnés". Ce désentraînement est une composante majeure du cercle vicieux, avec une sensibilité musculaire accrue aux microtraumatismes. Théorie centrale La FM s'inscrit dans un désordre psycho-neuro-endocrinien, impliquant des structures variées du système nerveux central et aboutissant à une baisse du seuil de la douleur (28). Trouble de la modulation centrale de la douleur Il existe deux grands types de douleurs: les douleurs par excès
de nociception, de loin les plus fréquentes, induites sur un système
nerveux normal par un excès d'influx nociceptifs à partir
de lésions tissulaires, et les douleurs neurogènes consécutives
à des lésions des voies nerveuses intervenant dans la régulation
de la douleur. Dans cette deuxième catégorie, les sujets
perçoivent comme douloureuses des stimulations qui sont en dessous
du seuil de la douleur chez des sujets normaux (courant d'air, effleurement,
froid): c'est l'allodynie. Ils présentent également un seuil
de tolérance à la douleur qui est diminué: c'est l'hyperalgésie.
Cette dysfonction du système nerveux central (SNC) peut avoir
pour origine (28):
Troubles du sommeil Il existe deux types de sommeil: le sommeil à ondes lentes
qui constitue 70 à 80% de la durée du sommeil, avec quatre
stades de profondeur croissante de sommeil, les phases d'endormissement
(stades 1 et 2, ondes alpha sur l'EEG) et le sommeil lent profond (stades
3 et 4, ondes delta sur l'EEG) et le sommeil à activité rapide
ou sommeil paradoxal, d'installation soudaine, qui fait toujours suite
à une phase de sommeil lent. Le sommeil lent profond (SLP) a un
rôle important dans les processus de récupération physique
et psychique et il existe des arguments pour son implication dans la FM:
Perturbations du système neuro-endocrinien Elles concernent deux axes: Hormone de croissance
Axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien
Anomalies de neuromodulation . Les taux de substance P sont élevés dans le LCR des
patients par rapport au groupe témoin (37).
La FM: une affection psychiatrique? Plusieurs arguments vont dans ce sens: on trouve ainsi des antécédents
dépressifs chez 29/3 des patients, antécédents qui
sont plus fréquents que la dépression "actuelle" puisque
seuls 25% des patients remplissent les critères de dépression
majeure. La prévalence des antécédents familiaux de
dépression est aussi augmentée de 15 à 20% (39). Il
existe une forte prévalence de l'anxiété, présente
dans 50% des cas. Enfin, la symptomatologie de la FM et celle de la dépression
se chevauchent (troubles du sommeil, fatigue).
Et la prédominance féminine? Très peu de travaux ont été réalisés
pour tenter d'expliquer la très nette prédominance féminine
dans l'affection.
TRAITEMENT Si les travaux sur la physiopathologie de la FM abondent, il n'en est pas de même pour l'approche thérapeutique avec peu d'études réalisées en double aveugle et peu de suivi à long terme. Information Il est nécessaire d'apporter au patient quelques explications
simples, lui décrire la nature, certes chronique et parfois invalidante
mais bénigne de cette affection, aborder les possibles liens avec
des problèmes anxio-dépressifs sous-jacents, lui expliquer
que certains symptômes associés peuvent s'intégrer
dans ce tableau (et freiner ainsi la course aux consultations, aux examens,
voire aux chirurgies répétées, comme on le voit pour
des syndromes canalaires qui n'en sont pas). Il faut lui expliquer le rôle
aggravant du désentraînement et l'importance de sa participation
active au traitement.
Traitements médicamenteux Antalgiques périphériques Le paracétamol seul ou associé à la codéine, au dextropropoxyphène ou à la caféine reste des traitements de choix dans la prise en charge des douleurs de la FM. Tramadol Sous réserve de sa bonne tolérance, il peut arriver une nette amélioration chez certains patients. Une étude montre une réduction de 40% de la douleur sous tramadol comparé au groupe placebo (41). Anti-inflammatoires non stéroïdiens Ils ont classiquement peu d'intérêt et sont le plus souvent mal tolérés mais peuvent réaliser une aide ponctuelle dans certains cas. Corticothérapie Elle n'a aucune indication dans la FM (42). Benzodiazépines Elles devraient être évitées du fait du risque de dépendance, de l'action suppressive de ces traitements sur le sommeil lent profond avec possibilité d'aggravation de l'asthénie et de la fatigabilité musculaire. Ils peuvent à faibles doses et sur de courtes durées entraîner une amélioration. Hypnotiques Ils peuvent améliorer le sommeil et le tonus mais n'ont pas démontré d'efficacité sur la douleur. Amitriptyline Ce traitement qui a montré son efficacité dans plusieurs études contrôlées (43) est souvent proposé en première intention du fait de son effet antalgique central et de son rôle régulateur sur le sommeil. Les doses doivent être augmentées progressivement chez ces patients qui ont souvent une importante intolérance médicamenteuse, jusqu'à 10 gouttes le soir, une heure avant le coucher. En cas d'inefficacité, les doses seront augmentées progressivement jusqu'à 50 mg par jour. Le délai d'efficacité est d'une à deux semaines avec parfois un épuisement de l'effet après quelques mois. Inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine S'ils donnent de bons résultats sur la dépression, ils
sont peu efficaces en monothérapie sur la douleur. L'association
fluoxétine-amitriptyline peut être proposée en seconde
intention en cas d'échec de l'amitriptyline eule (44).
Infiltrations Les infiltrations de corticoïdes ou d'anesthésiques locaux sont à privilégier en cas de syndrome myofascial associé. Rééducation Activité physique Le maintien d'une activité physique est primordial dans cette
affection. Celle-ci doit être fractionnée, avec un entraînement
progressif et régulier, et doit éviter les efforts violents.
Techniques adjuvantes Elles sont d'un assez bon appoint: balnéothérapie chaude,
chaleur, massages doux, physiothérapie. Les massages transverses
profonds sont contre-indiqués.
Mesures ergonomiques On proposera des conseils posturaux, une adaptation du poste de travail. Approche psychologique - Il faut rechercher les facteurs de déclenchement et d'entretien
des symptômes;
EVOLUTION La FM est une affection chronique, évoluant souvent sous forme de poussées sur un fond douloureux permanent. Une étude anglaise (47) montre que moins d'un patient sur dix est asymptomatique après 4 ans d'évolution. Dans une étude américaine (48), 100% des patients gardent des symptômes à dix ans, mais avec 2/3 des patients améliorés. Une autre réalisée chez 538 patients trouve une forte corrélation (r=0,82) entre l'évaluation à l'entrée et après sept ans d'évolution (49). D'autres études sont plus optimistes, notamment une étude australienne qui note 1/4 des patients en rémission complète à deux ans (50). CONCLUSION La réalité de la FM est aujourd'hui bien établie.
En l'absence d'étiologie et de pathologie précises, le traitement
doit faire appel à une prise en charge pluridisciplinaire. Un succès
thérapeutique durable ne peut être obtenu que moyennant la
participation active du patient. Cette prise en charge, à défaut
le plus souvent d'une guérison, peut permettre d'obtenir des améliorations
conséquentes.
REFERENCES 1. Kahn M.F. Le syndrome polyalgique idiopathique diffus. Concours
Méd. , 1988, 110, 1119-22.
Extrait de Synoviale, octobre
2000, n°94
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L'importance
de la revalidation pour un fibromyalgique
Dans un premier temps, le Docteur Boisset nous a rappelé ce qu'est
la fibromyalgie en nous décrivant les critères de l'ACR,
les autres symptômes pouvant s'y associer, ainsi que les traitements
actuels (antidépresseurs pour le sommeil, parfois des infiltrations,
des massages réconfortants, de la physiothérapie, de la relaxation
et des techniques comportementales). Il est important d'avoir exclu tout
autre cause. On retrouve ces mêmes symptômes dans la fatigue
chronique. L'incapacité peut être progressive et va parfois
jusqu'à la perte d'emploi. On peut remarquer que la fibromyalgie
atteint des gens assez actifs, exigeants vis-à-vis d'eux-mêmes,
ce qui entraîne une perturbation de l'image de soi.
Pour suivre, le Docteur Boisset nous a expliqué pourquoi il est
si important de suivre un programme de réadaptation physique.
Enfin, le Docteur Boisset nous a dit quels types d'exercices et quel
programme il nous est conseillé de faire.
En conclusion, la réadaptation est une des facettes de la "gestion"
de la fibromyalgie. Elle permet d'améliorer sa condition physique
et sa réserve fonctionnelle, ainsi que sa perception de l'intensité
de l'effort. Elle aide à gérer les activités quotidiennes.
Elle permet de réapprivoiser son corps et donc de mieux maîtriser
les douleurs, tout en améliorant l'image que l'on a de soi.
D'après mes notes et les transparents
du Docteur Boisset que je remercie chaleureusement.
Lydia Vanhamme. Extrait de la conférence du Docteur
Boisset
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Docteur
Jean Luc HEILI
Spécialiste en Médecine Physique et Réadaptation Médecin coordinateur Les principes de la prise en charge thérapeutique de la fibromyalgie ne peuvent s'élaborer sans l' indispensable confiance réciproque entre l' équipe soignante et le patient. Elle sous-entend que la première croit sans équivoque en la douleur du second et en réciprocité que ce dernier s'implique activement dans son traitement. Il devra accepter des objectifs limités (guérison aléatoire, efficacité relative des traitements, difficultés et lourdeur de l' investissement personnel). La notion de complémentarité est essentielle car elle repose sur le concept de pluridisciplinarité médical (plusieurs spécialistes collaborant avec le généraliste) et paramédicale (équipe interprofessionnelle soudée comprenant infirmier(e), kinésithérapeute, psychologue, secrétaire). Chaque intervenant a un rôle propre au sein de l' équipe du traitement de la douleur. La prise en charge doit également intégrer l' entourage et faciliter les relations avec les structures socioprofessionnelles. Les buts sont de redonner confiance au sujet, de lui faire découvrir des ressources personnelles de lutte contre la douleur afin de la gérer, de le reconditionner physiquement (toute activité physique étant fortement réduite) et de tenter de le réinsérer dans la vie socioprofessionnelle. Les moyens sont de trois ordres:
-les thérapies mentales, dont le but est d' augmenter les capacité de maîtrise de la douleur et de l' anxiété. On retiendra essentiellement la relaxation, la sophrologie, l' hypnose (techniques de décontraction musculaire généralisée ou localisée) et les thérapies cognitivo-comportementales ( apprentissage de stratégies d' adaptation par la modification du comportement). -les traitements physiques passives (massage doux et non douloureux, physiothérapie chaude, balnéothérapie) apportent un réel bénéfice antalgique. Les traitement actifs à type de réentraînement physique reconditionnent le patient à l' effort par des exercices respiratoires, musculaires des membres supérieurs et inférieurs et du dos, des étirement musculaires progressifs; ils se font par paliers de progression très faibles. Le traitement de la fibromyalgie est plurimodal en ce sens qu' aucun traitement n' est suffisant à lui seul et c' est l' ensemble des techniques adapté à chaque individu, qui permet à ce dernier de mieux contrôler sa douleur. Docteur Jean Luc HEILI
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Pr Lévy
Fragmentation du sommeil. Implications possibles dans le cadre de la fibromyalgie
Professeur Patrick Lévy, laboratoire du sommeil, EFCR, CHU Grenoble
La fragmentation du sommeil est une anomalie fréquente au cours de différentes pathologies du sommeil. Elle existe notamment au cours de pathologies aussi différentes que le syndrome d’apnées du sommeil, les mouvements périodiques au cours du sommeil et l’insomnie chronique. Les conséquences cliniques bien que variables sont essentiellement somnolence diurne excessive et fatigue chronique, surtout matinale. En effet, la répétition de micro-éveils non perçus par le patient (inférieurs à 20 secondes) ne permet pas d’approfondissement du sommeil (réduction des stades III et IV) et maintient un sommeil superficiel et non réparateur. Bien que les corrélations entre le nombre de micro-éveils et les symptômes (somnolence en particulier) soient médiocres, c’est l’élément le plus proche de la physiopathologie de ces éléments cliniques.
Y a t’il une contribution à la symptomatologie clinique de la fibromyalgie ? Les données existantes dans ce domaine sont en faveur. L’efficacité du sommeil, c’est à dire le temps total de sommeil rapporté au temps passé au lit, est réduite. Le nombre d’éveils est augmenté dans des proportions variables. La quantité de sommeil lent est réduite et il existe une intrusion de phénomènes d’éveil appelés “sommeil alpha delta ” qui sont identifiables visuellement sur le tracé d’électroencéphalographie. Ces données ont été confirmées par des analyses plus précises de type fréquentiel qui montrent une augmentation de l’activité haute fréquence de type éveil et une réduction de l’activité basse fréquence sur l’EEG. Le nombre global de micro-éveils est également augmenté, reflétant la fragmentation du sommeil. Il faut insister sur le caractère non-spécifique de ces anomalies. Elles peuvent également être le témoin d’une atteinte primaire du sommeil tel que syndrome d’apnées du sommeil ou mouvements périodiques au cours du sommeil. Par ailleurs, il existe plusieurs causes possibles de fragmentation du sommeil au cours de la fibromyalgie : douleurs musculaires ou d’autre origine, insomnie associée, etc… Dans tous les cas, une telle fragmentation est susceptible de contribuer de façon significative à la symptomatologie de fatigue chronique.
Dans ces conditions, il est logique de proposer un enregistrement polysomnographique à la recherche de ces anomalies et d’une éventuelle anomalie du sommeil associée. L’évaluation thérapeutique permettra de dire si la réduction de la fragmentation du sommeil lorsqu’elle est possible modifie significativement les symptômes cliniques. Enfin, toute évaluation thérapeutique dans cette affection devrait reposer non seulement sur une évaluation subjective mais également objective de la quantité et de la qualité du sommeil.
Existe-t-il des mécanismes physiopathologiques communs ? La physiopathologie de la fibromyalgie reste largement méconnue. Cependant, la sérotonine est à la fois impliquée dans le contrôle de la douleur et de l’éveil et pourrait être importante dans ce cadre. Les essais thérapeutiques sont en partie basés sur ce rationnel.
En conclusion, le sommeil semble jouer un rôle évidemment variable dans cette affection. Une utilisation raisonnable des enregistrements du sommeil en clinique comme en recherche clinique est donc souhaitable.
Les troubles digestifs dans la fibromyalgie - Professeur Bruno BONAZ
Gastroentérologue et neuro-physiologiste au département Hépato-Gastroentérologie du CHU de Grenoble, le Professeur Bonaz conduit des recherches sur les effets du stress sur le cerveau et ses incidences sur le tube digestif.
Rappel sur les spécificités de la fibromyalgie :
Syndrome caractérisé par des douleurs diffuses, chroniques et non expliquées, associées très fréquemment à des troubles du sommeil, à une fatigue et une fatigabilité musculaire, et à d’autres manifestations fonctionnelles diverses. L’examen général est normal en dehors des points douloureux à la palpation. Sur le plan épidémiologique : la fibromyalgie touche plus de 2 % de la population générale, avec une prévalence pour les femmes (3,4 %) par rapport aux hommes (0,5 %). Elle représente 2 à 5 % des consultations de médecine générale et10 à 25 % des consultations de rhumatologie (au 2ème rang après l’arthrose). On a pu noter une certaine prévalence familiale, mais sans mettre en évidence un gêne de susceptibilité ; en l’état actuel des connaissances, la fibromyalgie n’est pas considérée comme une maladie génétique.
Les causes de la fibromyalgie : elles sont encore inconnues aujourd’hui ; il existe des facteurs déclenchants : traumatisme physique, psychique, situation prolongée de stress.
On retrouve des signes associés presque constants :
- raideur matinale assez prolongée
- troubles du sommeil (non réparateur)
- fatigue générale, surtout matinale
- fatigabilité musculaire pour le moindre effort, le maintien d’une attitude, le stress
La fibromyalgie est invalidante : le patient la ressent comme une affection plus sérieuse que d’autres maladies chroniques. Le retentissement émotionnel et psychologique est également plus marqué.
Si l’on compare la fibromyalgie à la polyarthrite rhumatoïde, on constate :
- un niveau de douleur équivalent
- mais une dégradation de la qualité de vie plus importante dans la fibromyalgie
La recherche aujourd’hui s’oriente vers une origine centrale de la fibromyalgie :
1 – mise en évidence d’une diminution générale du seuil douloureux : 2 à 3 fois plus bas que la population générale
2 – à tout type de stimuli : mécanique, thermique, électrique : il existe un trouble de la modulation centrale de la douleur.
Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer l’origine de cette dysfonction :
- le défaut se situe à la périphérie, au niveau des tendons, des muscles, des articulations
- ça se passe au niveau de la moelle épinière qui reçoit la douleur
- c’est peut être le cerveau qui ne marche pas bien
- c’est peut être les voies descendantes qui viennent du cerveau et qui vont moduler tout ce qui arrive à la moelle.
On perçoit ce qu’on ne devrait pas sentir. On sait que l’inflammation chronique peut favoriser la douleur dans la fibromyalgie. Elle va sensibiliser les afférences qui viennent du tube digestif, des tendons, des articulations, des muscles ; il va y avoir modification de la morphologie des cellules nerveuses qui vont alors éprouver la moelle épinière et augmenter les impulsions nerveuses. La moelle ne va plus jouer son rôle de filtre de la douleur.
Les troubles fonctionnels digestifs :
Ce sont des troubles sans anomalies structurales : il n’y a pas d’inflammation, pas de cancer. Ils représentent 30 à 50 % des consultations de spécialité, et représentent un coût de santé publique important.
Le trouble fonctionnel le plus fréquent est le syndrome de l’intestin irritable (SII), autrefois appelé colopathie, avec une prévalence de 22 %, et une prédominance féminine (2/3).
Ce syndrome se caractérise par des douleurs abdominales qui en sont le principal symptôme.
Comme pour la fibromyalgie, des critères objectifs ont été établis pour qualifier un syndrome de l’intestin irritable :
1 – des douleurs abdominales ou un inconfort abdominal pendant au moins 12 semaines au cours des 12 derniers mois.
2 – associées à au moins 2 des 3 facteurs suivants : soulagement des douleurs par la selle, modification de la fréquence des selles, modification de la consistance des selles.
3 – en l’absence de toute anomalie structurale ou métabolique.
Dans le syndrome de l’intestin irritable, on a mis en évidence une hyper sensibilité viscérale à tous les niveaux du tube digestif.
On s’interroge sur la nature de l’anomalie primitive :
¿ Mise en cause de la sensibilité des afférences primaires, celles qui conduisent l’information ? On retrouve le rôle de l’inflammation/infection qui va sensibiliser les afférences
¿ Mise en cause du rôle de modulateur du système nerveux central ?
- anomalies dans le filtrage des stimuli douloureux par la moelle épinière
- sécrétion anormale de CRF (facteur neuromédiateur du stress) par le noyau hypothalamus dans le cerveau, dépression, anxiété, abus sexuels
¿ Mise en cause du rôle des voies excitatrices ou inhibitrices de la douleur ? En principe tout ce qui arrive au niveau de la moelle est filtré par elle ; ces voies descendent du cerveau vers la moelle pour moduler son action : bloquer un message douloureux ou le laisser passer.
On a démontré le rôle aggravant du stress suite à des évènements douloureux, qui provoque soit l’apparition, soit l’exacerbation des symptômes. Il existe une corrélation chronologique entre le stress et l’apparition des symptômes.
Quelle relation entre fibromyalgie et syndrome de l’intestin irritable ?
On retrouve très fréquemment des troubles digestifs dans la fibromyalgie. Les patients avec fibromyalgie présentent un tableau d’intestin irritable dans 48 % des cas en moyenne, et 33 % des patients atteints du syndrome de l’intestin irritable ont aussi une fibromyalgie.
Dans une étude regroupant des personnes atteintes de fibromyalgie, des personnes atteintes d’arthrose, et une population témoin, 64 % des patients avec fibromyalgie rapportent un effet du stress sur leur tube digestif, contre 39 % des arthrosiques et 48 % des témoins. Dans cette même étude, 60 % des patients avec fibromyalgie présentaient des anomalies digestives similaires à celles observées dans le SII, contre 13 % dans le groupe arthrosique et aucun dans le groupe témoin.
Résultats d’une étude menée en 2000 sur 75 patients avec syndrome de l’intestin irritable : 50 patients avec un syndrome de l’intestin irritable isolé, 25 patients avec un syndrome de l’intestin irritable et une fibromyalgie : on a constaté que l’index de sévérité des troubles fonctionnels intestinaux était plus élevé chez les patients syndrome de l’intestin irritable + fibromyalgie.
Il existe une association significative entre la présence d’une fibromyalgie et la sévérité des troubles : la coexistence d’une fibromyalgie modifie profondément la perception douloureuse chez les patients atteints du syndrome de l’intestin irritable.
On constate une co-morbidité entre ces deux affections, avec beaucoup de points communs. Les deux sous-groupes de patients ont des modifications significatives de leur perception douloureuse, avec une hyper vigilance aux stimulations douloureuses.
Ces altérations sont-elles la cause ou la conséquence ? Il semblerait qu’elles ne sont qu’un marqueur d’une anomalie de la régulation de la douleur. On n’a pas aujourd’hui d’explication sur la cause de ces anomalies, seulement des hypothèses.
Il existe des points communs entre fibromyalgie et syndrome de l’intestin irritable :
- ils sont plus fréquents chez la femme
- ils sont déclenchés ou exacerbés par le stress
- ils sont associés à une fatigue chronique, des troubles du sommeil, de l’anxiété, de la dépression.
Quelle est l’influence du CRF (neuromédiateur du stress) dans la fibromyalgie ?
Une étude récente le place au centre de la fibromyalgie. A la suite d’un stress, il y a hyper sécrétion de ce CRF dans le noyau hypothalamus du cerveau, ce qui va entraîner des dérèglements multi-hormonaux
Le protocole d’étude mis en place en gastroentérologie au CHU de Grenoble :
C’est dans ce contexte que le CHU de Grenoble a réalisé une étude IRMf (Imagerie par Résonance Magnétique fonctionnelle) chez des patients fibromyalgiques avec un syndrome de l’intestin irritable, pour caractériser leur activation neuronale cérébrale au cours d’une distension rectale par ballonnet, et rechercher des anomalies d’activations cérébrales fonctionnelles. Cette étude conduite sur 11 patientes a mis en évidence des anomalies d’activation neuronale, qui peuvent être un marqueur d’un mauvais traitement du message douloureux. La finalité bien entendu est de mieux comprendre les mécanismes du traitement de la douleur chez les patients avec fibromyalgie et pouvoir proposer à terme des applications thérapeutiques.
Il ne faut bien sûr surtout pas en conclure que c’est psychologique, que ça se passe dans la tête. Le cerveau est effectivement en cause, mais il faut dire qu’on est en présence d’un trouble de la sensibilité, de l’intégration de la douleur.